Pour la rentrée, on garde dans un menu notre feuilleté truffe et céleri. La truffe est un de mes produits favoris. On en sert toute l’année. On l’achète et on la prépare la saison où elle est la meilleure pour être certain de pouvoir en servir. J’ai commencé à travailler la truffe lorsque je me suis installé à Baudour. C’était un produit de grandes maisons, alors rare en Belgique. Je l’avais découverte chez Lameloise, à Chagny, où Jacques Lameloise servait un Pigeonneau rôti à l’émietté de truffe. Un grand souvenir! En Belgique, les grands cuisiniers de l’époque, Bruneau, Wynants, Romeyer, à la Maison de Bouche, tous travaillaient la truffe.
En 1991, on a fêté chez Romeyer nos dix ans de mariage avec Pascale, ma chère et tendre. Romeyer était à l’époque le plus grand chef belge. Il proposait en entrée une truffe entière en papillote, canapé au beurre de truffe que j’ai dégustée ce soir-là. Rien que le pliage de cette papillote, c’est toute une histoire… La préparation doit être étanche. La truffe cuit à la vapeur. Le maître d’hôtel apportait la préparation en salle, puis l’ouvrait au couteau. Toute la salle embaumait du parfum de la truffe. Romeyer accompagnait ça d’un toast au beurre de truffe. J’avais 25 ans, je n’ai jamais oublié ce plat ! C’est de là que j’ai repris l’idée d’une cuisson à l’étouffée. Il m’est pourtant arrivé de servir la truffe froide. Mea culpa. Je savais pourtant par expériences en France que les grands cuisiniers la servaient chaude. Puis un midi, il y a une quinzaine d’années, un client s’est présenté comme inspecteur de Michelin après avoir mangé. Il avait pris un carpaccio de truffe dans son menu. Il m’a demandé à voir les truffes. Il a pris la boîte, l’a ouverte, a senti, puis m’a dit : « elles sont superbes ! » Puis il a ajouté : « Est-ce bien celles-ci que vous m’avez servies… ? » Je n’ai pas eu besoin d’en entendre davantage! Je lui ai dit qu’il était le dernier à avoir mangé une truffe chez moi servie crue. Une truffe crue, servie froide, est pauvre en goût. Crue, on peut la rapper finement sur une pâte chaude. La fragilité du produit permet au parfum d’exploser. Mais elle doit être chaude pour exprimer son parfum. Il est important de retenir son parfum, soit dans les corps gras (huile, beurre, crème), soit par infusion dans une sauce où elle est ajoutée en fin de cuisson, soit enfermée dans une pâte (feuilleté, brioche, pain) ou en lamelles sous la peau d’une volaille. Romeyer l’avait bien compris. Une truffe crue sur une viande saignante, je n’y crois pas trop… J’en ai discuté avec Jean-Pierre Bruneau, un maître du travail de la truffe, et son filet de bœuf façon Rossini. « Je n’ai jamais envoyé une truffe crue froide en salle ! », m’a-t-il dit.